L’heure juste sur les fruits et légumes moches (partie 4/4) – Les patates naturellement imparfaites de Maxi

Patates naturellement imparfaites de MaxiDepuis le 12 mars dernier, de nombreux médias en ont parlé : « Les fruits et légumes difformes débarquent sur les étalages québécois » (La Presse), « Loblaw vend désormais des fruits et légumes « imparfaits » » (Canoë), « Loblaws valorise les légumes moches » (Novae), etc. Mais qu’en est-il vraiment? Voici mon analyse de la nouvelle.

Pour rester fidèle à mes habitudes, commençons par rectifier les faits. D’abord, il ne faut pas se fier qu’aux titres de ces articles, il faut aller lire plus loin, sinon on pourrait facilement croire que tous les magasins de la chaîne Loblaw offrent toute une variété de fruits et légumes « moches ». C’est d’ailleurs à peu près l’information qu’a diffusé Rouge fm sur ses sites Internet en écrivant « Les supermarchés Maxi et Maxi et cie offrent maintenant une section réservée aux fruits et légumes imparfaits. » (Une section réservée, je me demande franchement où ils ont pêché ça… *soupir*)

Voici les faits, tirés de la source la plus fiable, soit la compagnie elle-même (je vous ai mis en gras les bouts essentiels) :

Les supermarchés Maxi et Maxi & Cie de la grande région de Montréal, de même que les magasins Real Canadian SuperstoreMD et certains magasins nofrillsMD de l’Ontario, offrent maintenant des fruits et légumes de formes irrégulières ou plus petits que la normale, mais tout aussi délicieux et nutritif [sic].

Pour réaffirmer son engagement d’offrir à ses consommateurs des produits de qualité à prix abordable, les bannières Maxi et Maxi & Cie proposent des pommes de terre du Québec de marque sans nomMD Naturellement imparfaitsMC. La gamme pourrait aussi s’élargir pour offrir dans un futur rapproché des pommes du Québec. Les produits sans noms [sic] Naturellement imparfaits sont jusqu’à 30 % moins chers que les fruits et légumes ordinaires actuellement offerts en magasin. (Source : Loblaw)

Bref, les supermarchés Maxi de la région de Montréal vendent maintenant des sacs de patates non standards, et « bientôt » aussi des pommes, puis éventuellement d’autres fruits et légumes. (On m’a dit qu’on pourrait déjà retrouver les pommes de terre à l’extérieur de la région de Montréal.)

C’est bien, oui! …

Que des légumes qui étaient auparavant gaspillés à cause de leurs irrégularités trouvent maintenant une place dans les supermarchés, c’est certainement une bonne nouvelle! Et les patates, puis les pommes, ce n’est qu’un début selon les dires de la compagnie. Et ça s’étendra à tout le Québec dans les prochaines semaines, j’ose espérer. C’est bien!

… mais!

On est clairement en présence ici d’une entreprise qui s’est empressée de sauter sur un concept à succès (créé par le mythe d’Intermarché) afin de faire le buzz et de s’accaparer le titre de « la première chaîne à commercialiser des fruits et légumes moches au Québec », le tout en faisant le strict minimum.

Premièrement, Loblaw n’a pas attendu d’avoir une diversité d’aliments moches avant de se lancer. Les pommes de terre auront suffi pour annoncer que les Maxi « offrent maintenant des fruits et légumes de formes irrégulières ». Deuxièmement, en utilisant la marque sans nomMD et son marketing des plus minimalistes, Loblaw n’a eu qu’à trouver un joli nom à la nouvelle gamme de produits, faire une annonce prometteuse, et le tour était joué! Intermarché ayant déjà fait tout le travail de marketing préalable pour créer l’attente et la notoriété du concept, il suffisait à une chaîne d’ici de mentionner « fruits et légumes moches » sur ses tablettes pour attirer beaucoup d’attention. Parce que, entre vous et moi, s’il n’y avait pas eu la campagne d’Intermarché l’année dernière, on s’entend que Loblaw (n’aurait pas lancé sa gamme Naturellement imparfaitsMC, et surtout) n’aurait pas fait parler beaucoup d’elle avec une annonce et une offre aussi minimalistes.

Néanmoins, c’est mieux que rien du tout, je l’accorde. On ne pouvait probablement pas s’attendre à mieux d’une entreprise privée qui cherche à se démarquer de la concurrence comme elle le peut…

Comme si chaque chaîne devait trouver son propre synonyme de « bio »

Par contre, en plus de ne pas être très impressionné par l’initiative de Loblaw, je n’aime pas qu’une chaîne s’approprie un concept comme celui-là. Intermarché n’a pas légalement réservé le terme « fruits et légumes moches », mais on s’imagine bien qu’une autre chaîne en France serait mal vue d’utiliser la même expression pour commercialiser des fruits et légumes non standards. Si les autres chaînes veulent aussi se lancer, elles seront en quelque sorte obligées de réinventer la roue, de chercher d’autres mots pour parler de la même chose. Exactement comme ici maintenant que Loblaw a réservé « naturellement imparfaits », forçant tous les autres à devoir choisir un autre terme ou une autre expression.

C’est comme si une chaîne avait autrefois réservé le terme « biologique » pour vendre des produits bio. Ou encore avait réservé « Aliments du Québec ». Essayez de trouver des expressions qui disent la même chose et qui sonnent aussi bien et sont aussi efficaces, sans créer de confusion. Heureusement, ces termes sont enregistrés de manière indépendante de sorte que chaque chaîne peut avoir une sélection « bio » ou « locale » sans avoir à créer son propre concept. Pas de guerre inutile qui gaspille du temps et de l’argent. (Parce que rappelons nous que de l’argent dépensé inutilement par une chaîne d’alimentation peut se refléter dans le prix des aliments…)

En bon idéaliste que je suis, je rêvais donc d’une sorte de label indépendant pour les fruits et légumes moches au Québec. Tiens, à peu près exactement comme ce que « Les Gueules cassées » ont lancé en France! Je vous fais une confidence, j’avais moi-même songé l’automne dernier à un concept marketing que j’aurais rêvé de développer et de réserver pour qu’il demeure indépendant, un concept appelé « Les Imparfaits ». Eh oui (demandez à mon entourage proche si vous ne me croyez pas), pratiquement la même idée que Loblaw. Pas étonnant par contre. C’est que le champ lexical pour parler de fruits et légumes non standards n’est pas très riche et encore moins sexy. J’ai fait le brainstorm pour vous :

Anormaux / Atypiques / Biscornus / Déclassés / Différents / Difformes / (Gueules cassées) / Hors normes / Irréguliers / Imparfaits / (Moches) / Non standards

Voir le vidéo plus bas pour comprendre ;)
Voir le vidéo plus bas pour comprendre 😉

Pas grand-chose qui sonne bien là-dedans pour commercialiser des produits, n’est-ce pas? (Sans offense à « gueules cassées » ou « moches », mais ces expressions ne cadrent pas vraiment dans le langage courant au Québec, même si « moches » est maintenant devenue l’expression consacrée ici aussi). J’avais donc aussi conclu que le terme « imparfait » était le plus intéressant de la gang.

Ceci dit, les autres initiatives potentielles seront techniquement forcées de piger dans les autres termes pas tellement accrocheurs (ce qui ne sert pas du tout la cause!!!), à moins de juste reprendre « moche » comme le fait SecondLife avec sa plateforme jesuismoche.ca (dont je vous ai parlé dans mon dernier article). Ou bien encore à moins d’emprunter des expressions colorées à Marc Labrèche, telles que « déficients esthétiques », « amputés de beauté », ou « jolis extra light »? Pour comprendre (et mettre un peu d’humour dans tout ça), regardez l’extrait vidéo suivant :

Bref, oui c’est une bonne nouvelle, mais…

… j’avais espoir que les choses se fassent mieux ici. De manière plus indépendante, sérieuse et engagée dans la cause. Moins tout simplement opportuniste, comme les grandes entreprises privées savent trop bien faire. Je le rappelle, je suis un idéaliste. La lutte au gaspillage alimentaire est une cause qui m’est très chère (je suis sûr que vous ne le saviez pas déjà), je veux donc qu’elle puisse se mener de la meilleure manière possible, sans qu’une initiative nuise aux autres, comme je trouve que c’est malheureusement le cas ici avec Loblaw qui « tire la couverte de son bord ».

Voilà! N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez dans les commentaires!

 

Mise à jour | 7 avril 2015 | Rupture de stock

Le Journal de Montréal annonçait hier que les magasins Maxi avaient déjà écoulé tout leur stock de pommes de terre de la gamme « Naturellement imparfaits », seulement trois semaines après leur lancement.

« Le succès a été très bon et la réaction des consommateurs également. C’est un projet-pilote. Nous voulions valider la demande et voir ensuite ce qui pouvait être fait avec les fournisseurs », explique-t-elle [Stéphanie Poirier, spécialiste des affaires corporatives chez Provigo].

La chaîne de supermarchés ne peut préciser la date du retour des pommes de terre imparfaites sur les tablettes, mais assure que les produits seront disponibles bientôt.

(Source : Journal de Montréal)

Cette rupture de stock peut certes s’expliquer, en partie, par un succès indéniable de l’opération, mais disons-le aussi parce que la chaîne n’avait pas attendu d’avoir une très grande quantité de produits « moches » disponibles avant de se lancer, comme je l’ai écrit plus tôt. Oui les stocks de fruits et légumes moches sont appelés à être beaucoup plus fluctuants que les produits réguliers, mais sachant qu’une production agricole peut générer entre 10% et 40% de produits ne correspondant pas aux standards commerciaux, il pourrait fort probablement toujours y avoir certains fruits et légumes moches sur les tablettes de nos supermarchés si ces derniers se lançaient dans une démarche sérieuse impliquant plusieurs fournisseurs et une variété de fruits et légumes différents.

Enfin, je trouve ça « spécial » que l’on évoque aujourd’hui que l’opération était un projet-pilote. Ce n’est pourtant pas ce qui avait été annoncé officiellement le 12 mars dernier il me semble…

 


Intéressés par une conférence sur le gaspillage alimentaire en général ou sur un volet précis? N’hésitez pas à me contacter : eric.lenverdeur@gmail.com

5 commentaires sur “L’heure juste sur les fruits et légumes moches (partie 4/4) – Les patates naturellement imparfaites de Maxi

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  1. Bonjour,
    Je viens de prendre connaissance de votre blog suite à un courriel de promotion concernant l’atelier  » À vos frigos » . Je lis votre article ci-dessus et ne comprend pas pourquoi vous regrettez et condamnez la récupération par un grand groupe commeLoblaws (Maxi) de l’initiative des légumes moches alors que vous acceptez de participer à un atelier contre le gaspillage alimentaire initié par le jour de la Terre et ….IGA! Je souhaitais m’y inscrire mais ai compris qu’il s’agit là aussi d’un beau coup marketing permettant à ce magasin de récuperer un maximum de données personnelles – sous couvert d’ une inscription à un atelier initiant au non- gaspillage auquel nous ne sommes pas surs de participer puisque « le nombre limité de participants nécessite un tirage au sort . Travaillant dans le milieu de la communication , cette pratique m’a difficilement échappée. J’ai donc trouvé votre critique incohérente et injuste pour les personnes qui ont acheté les pommes de terre en toute bonne foi , partageant le même idéal que vous: tout comme vous le fait en vous associant avec IGA – qui n’est pas un exemple en matière de réduction de gaspillage- certains acheteurs de légumes moches essaient de contribuer à cette cause et si Maxi a sauté sur l’occasion par opportunisme et bien cela aura certainement le mérite de sensibiliser les consommateurs : un effet colatéral involontaire , mais très positif. Qu’en pensez-vous? Bonne continuation! Ps: non je vous rassure, je ne travaille pas pour Loblaws,Maxi et consorts…!

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    1. Bonjour Mme Tanko,

      Tout d’abord, désolé de répondre avec autant de retardement, je viens juste de découvrir que je n’avais pas reçu les notifications pour les commentaires des derniers mois… Mais bon, mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas?

      Pour ce qui est de votre commentaire sur mon article, sachez que je ne regrette ni condamne pas le fait que Loblaws se soit lancée dans la commercialisation de fruits et légumes moches, au contraire. Ce que je regrette et condamne, c’est que chaque chaîne se mette à créer sa propre marque de commerce pour une gamme de produits (aliments imparfaits) qui devrait être universelle à mon avis et non pas la propriété d’une chaîne. Bref, je suis plutôt en faveur d’une marque indépendante, comme « Les Gueules cassées » en France, et maintenant « Beautifood » au Québec, soient des marques que l’on peut retrouver dans tous les commerces, peu importe la bannière. Ça n’aide en rien la cause que d’encourager chaque chaîne à investir de son argent (qui aurait pu être autrement être utilisé à réduire le prix des aliments, par exemple) pour créer sa propre marque et son propre marketing, alors que ça pourrait être indépendant et uniforme, comme ce l’est pour les produits biologiques et les aliments du Québec.

      Puis, vous semblez en fait n’avoir retenu que le négatif de mon article, alors que j’ai pourtant justement le soucis de montrer les deux faces de la médaille. Je vous recopie donc un extrait non négligeable : « Que des légumes qui étaient auparavant gaspillés à cause de leurs irrégularités trouvent maintenant une place dans les supermarchés, c’est certainement une bonne nouvelle! Et les patates, puis les pommes, ce n’est qu’un début selon les dires de la compagnie. Et ça s’étendra à tout le Québec dans les prochaines semaines, j’ose espérer. C’est bien! » Je suis loin de dénigrer complètement l’initiative et encore moins les clients qui l’ont encouragée, j’ai simplement fait une analyse critique de la situation en fonction de mon expertise et de mes idéaux en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire.

      Ensuite, pour ce qui est de votre critique quant à mon impartialité, sachez que mon association avec IGA était strictement circonstancielle dans le cadre du programme « À vos frigos », je n’ai de parti pris pour aucune chaîne. Si Loblaws m’avait recruté pour donner des ateliers anti-gaspillage alimentaire, j’aurais accepté de la même manière. D’ailleurs, je vous invite à remarquer que l’article ci-dessus a été rédigé plusieurs mois avant mon contrat avec IGA, et que je n’ai pas non plus rédigé d’article pour vanter la commercialisation des « Fruits et légumes drôles » par IGA au mois d’octobre dernier, chose que j’aurais certainement faite si j’avais été partial envers IGA. Bref, votre critique quant à mon impartialité n’est absolument pas fondée. Sur mon blogue et sur ma page Facebook, je partage les bons et moins bons coups de tous, avec totale indépendance et esprit critique, selon le temps que j’ai à y consacrer.

      Enfin, concernant votre critique des ateliers « À vos frigos », l’objectif premier du programme était absolument d’outiller les Québécois pour réduire leur gaspillage alimentaire à la maison. Évidemment que ça fait de la bonne visibilité pour l’entreprise (AUCUNE entreprise n’investirait dans un tel programme autrement), mais on n’est loin de parler d’une simple campagne de marketing. Nous avons donné une centaine d’ateliers de deux heures à travers le Québec auxquels nous avons eu plus de 1200 participants qui sont repartis avec un tas de trucs et astuces pour moins gaspiller dans leur quotidien. IGA était certes le commanditaire du programme, et le lieu pour la majorité des ateliers, mais ça s’arrête là; le contenu des ateliers était à 100% à propos du gaspillage alimentaire et des trucs de chef. C’est décevant que vous critiquiez un programme que vous ne connaissez pas du tout réellement.

      Tout ceci étant dit, j’espère que vous continuerez à me lire, mais peut-être avec davantage de bonne foi. 😉 Je suis toutefois très ouvert aux critiques, et je vous remercie pour votre commentaire.

      Au plaisir!

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  2. Mes excuses pour certains mots écorchés dans mon commentaire ( « vous faites ») : j ‘écris de mon téléphone ce qui me prive d’une certaine aisance pour rédiger les mots, me relire et me corriger…

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