Les plus récents chiffres sur le gaspillage alimentaire au Canada

Je ne vous l’apprends sûrement pas, le web est pollué d’informations erronées sur à peu près tous les sujets qui existent, et c’est probablement pire quand il est question de statistiques. Le sujet du gaspillage alimentaire n’y échappe malheureusement pas.

Quand les informations se créent, se déforment et se partagent à une vitesse folle, on ne peut malheureusement pas toujours faire confiance à ce qu’on lit ou entend, même dans des médias qui semblent fiables. Il y a notamment cet exemple sur lequel j’ai écrit il y a quelques années : la nouvelle complètement erronée créée en 2013 par un grand média stipulant que les Québécois seraient les champions du gaspillage alimentaire et dont les faussetés se retrouvent encore aujourd’hui un peu partout dans les articles parlant de gaspillage alimentaire.

Dans tout ce fouillis d’informations erronées et/ou désuètes, c’est difficile de s’y retrouver et de savoir quelles sont les informations fiables et à jour. C’est pourquoi je vous rassemble ici les plus récentes statistiques officielles concernant le gaspillage alimentaire au Canada (on n’a malheureusement pas encore vraiment de statistiques pour le Québec).

Notez que toutes ces statistiques sont des estimations/extrapolations à partir de données souvent aussi estimées/extrapolées. Les chiffres réels sont impossibles à avoir dans l’état actuel, donc toutes ces statistiques sont à prendre avec un gros grain de sel. Merci! 🙂

Gaspillage de la ferme à l’assiette :

Source : Value Chain Management International et Second Harvest, The Avoidable Crisis of Food Waste : Technical Report (2019)

Eh oui! Vous avez bien vu, ça se compte en millions de tonnes et en milliards de dollars!

La plus grande nouveauté de l’étude la plus récente (janvier 2019), c’est la grande différence de la part de gaspillage attribuée aux consommateurs par rapport à la part attribuée auparavant. En fait, les études canadiennes précédentes avaient chiffré le gaspillage alimentaire uniquement en valeur économique des aliments, et non pas en poids. Sachant que la valeur économique augmente au fur et à mesure des transactions dans la chaîne, il était normal que ces études attribuent une part distorsionnée à la hausse aux consommateurs (47%). Avec cette nouvelle étude qui a chiffré le gaspillage en poids, il n’est donc pas surprenant que la part du gaspillage à la maison s’en trouve réduite et beaucoup plus comparable à d’autres étapes.

58 % d’aliments gaspillés? Non, heureusement!

Si vous avez consulté la nouvelle étude en question ou consulté des médias qui en ont parlé, vous avez certainement lu ou entendu quelque chose du genre «  58 % de la nourriture au Canada est gaspillée ».  C’est bel et bien un chiffre de l’étude, mais la formulation en français est trompeuse et erronée puisque ce chiffre comporte un gros problème : il inclut toutes les parties non comestibles des matières premières alimentaires destinées à l’alimentation humaine (os et peaux d’animaux, noyaux, écales, pelures, etc.) mais aussi les pertes d’humidité des aliments au fil de la chaîne et à la cuisson, ce qui n’est en rien une perte alimentaire.

Ainsi, pour être rigoureux et honnête, ce que l’étude dit RÉELLEMENT c’est : 58% du poids des matières premières alimentaires est perdu tout au long de la chaîne au Canada. Pas mal moins parlant comme statistique, vous en conviendrez.

Si le poids des parties non comestibles et des pertes d’humidité était minime ou impossible à quantifier, il serait compréhensible de ne pas les exclure, mais c’est loin d’être le cas ici : elles représenteraient 40% du poids total des matières premières alimentaires! Ainsi, lorsqu’on les exclut du portrait comme il se doit, on obtient plutôt 30,4 % d’aliments perdus ou gaspillés au Canada, ce qui est beaucoup plus réaliste comme chiffre si l’on compare avec les estimations précédentes pour le Canada ou d’autres pays. Et ça reste tout à fait terrible comme proportion, pratiquement un aliment sur trois!

Pour celles et ceux qui veulent des preuves du chiffre que j’avance (tout à fait compréhensible), voici ma démarche (tableau tiré de la page 24 de l’étude) :

En plus propre et en français, ça donne ça :

Millions de tonnes Pourcentage des aliments du système
Aliments dans le système 36,75 100 %
Aliments consommés 25,58 69,6 %
Réelles pertes et gaspillages alimentaires 11,17 30,4 %

À mon sens, inclure le poids des pertes non alimentaires dans une étude sur le gaspillage alimentaire est une grave erreur méthodologique qui induit tout le monde en erreur et je suis un peu fâché contre les auteurs de l’étude parce que, à part ce « détail », elle est vraiment bonne l’étude, notamment tout son volet qualitatif sur les causes du gaspillage alimentaire et les pistes de solutions à différentes échelles.

Je me demande si cette erreur ne viendrait pas du fait qu’en anglais « waste » peut avoir le sens de « gaspillage » mais aussi de « résidu/déchet ». Donc « food waste » peut vouloir dire « gaspillage alimentaire » mais aussi « résidus alimentaires ». Dans cette optique, je pourrais comprendre qu’ils ont inclut les parties non comestibles puisque ce sont effectivement des résidus alimentaires. Par contre, ils auraient quand même dû exclure les pertes d’humidité de leurs calculs puisque ça ne représente pas non plus des résidus alimentaires. Est-ce c’est parce que la perte de poids attribuable à la perte d’humidité n’était pas quantifiable séparément du poids des parties non comestibles? Peut-être, mais j’en doute. Ça reste douteux comme choix méthodologique et souhaitons que ça ne se reproduise pas dans de prochaines études.

Gaspillage à la maison :

Il y a également une autre étude qui a été faite récemment sur le gaspillage alimentaire au Canada par le Conseil National Zéro Déchet (CNZD) mais celle-ci portait seulement sur la part dans les foyers, et les résultats diffèrent un peu de ceux présenter ci-dessus pour ce volet. Voici donc côte-à-côte les chiffres des deux études :

Gaspillage à la maison Selon VCMI Selon CNZD
Total Quantité 2,38 millions de tonnes 2,2 millions de tonnes
Valeur $ 10,37 milliards $ 17 milliards $
Par ménage Quantité environ 164 kg
(calcul 2)
140 kg
Valeur $ environ 720 $
(calcul 4)
plus de 1100 $
Par personne Quantité environ 70 kg
(calcul 1)
environ 60 kg
(calcul 5)
Valeur $ environ 300 $
(calcul 3)
environ 460 $
(calcul 6)

On peut observer que la valeur économique d’aliments gaspillés diffère passablement entre les deux études, mais les quantités en poids sont assez similaires. Pour celles-ci, on pourrait donc simplifier comme suit sans trop se tromper :

  • Total dans les foyers : autour de 2,3 millions de tonnes
  • Moyenne par ménage : autour de 150 kg
  • Moyenne par personne : autour de 65 kg

Cela dit, RECYC-QUÉBEC considère que l’étude du Conseil National Zéro Déchet serait plus fiable en ce qui concerne le gaspillage à la maison, mais cette étude n’a pas été rendue publique donc on ne peut en juger par nous-mêmes, c’est pourquoi j’ai choisi de présenter les deux.

Détails de mes calculs pour les curieux :

Population du Canada (2016) : 34,77 millions (Statistiques Canada)
Ménage moyen (2016) : 2,4 personnes (Institut de la statistique du Québec)

1 : 2,38 millions de tonnes divisé par 34,77 millions d’habitants
2 : 68 kg multiplié par 2,4 personnes
3 : 10,37 milliards $ divisé par 34,77 millions d’habitants
4 : 300$ multiplié par 2,4 personnes
5 : 140 kg divisé par 2,4 personnes
6 : 1100 $ divisé par 2,4 personnes

Impacts économiques :

Voici deux statistiques intéressantes provenant d’une précédente étude canadienne (VCMI, 2014) mais ces résultats n’ont pas été remis en question par les plus récentes.

  • Les pertes économiques relatives au gaspillage alimentaire au Canada s’élèveraient à plus de 100 milliards $ par année, considérant tous les coûts cachés liés au gaspillage.
  • Ces pertes économiques dans la chaîne agroalimentaire se reflètent dans le prix des aliments payés par les consommateurs en bout de ligne, faisant grimper la facture d’au moins 10%

Analyse détaillée et études de cas sur le gaspillage alimentaire à Montréal

Pour avoir une analyse plus détaillée d’un peu tout ça et bien plus encore, notamment des études de cas dans les secteurs industriel et commercial à Montréal, je vous recommande fortement mon étude parue en novembre dernier : Analyse du gaspillage alimentaire à Montréal : études de cas dans les secteurs commercial et industriel.

Bonne lecture!


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