
Ça fait plusieurs fois que je vois passer des articles parlant de la Belgique qui oblige les supermarchés à donner leurs invendus alimentaires à des organismes. Spontanément, on applaudit l’initiative et on souhaite la voir faire des petits partout, dont ici. Une vraie ou une fausse bonne idée?
D’abord, les informations concernant la nouvelle mesure divergent d’un article à l’autre (vive le téléphone arabe…), alors commençons par au moins avoir l’heure juste. La version la plus officielle que j’ai trouvée est celle-ci :
« Les invendus consommables des grandes surfaces de distribution alimentaire en Wallonie devront systématiquement être proposés à une association caritative avant de partir vers une filière de valorisation ou d’élimination des déchets, a décidé vendredi [21 février 2014] la commission de l’Environnement du parlement wallon. Les grandes surfaces concernées sont des magasins pour la vente au détail d’une surface totale supérieure à 1000 m2. » (Source : LaLibre.be)
Donc pas toute la Belgique, mais bien la région wallonne. Pas tous les supermarchés, seulement ceux de plus de 1000 m2. Des détails vous me direz, mais le diable ne se cache-t-il pas dans les détails?
Mais là, c’est quand même une bonne mesure, non? On la souhaite ici, non? Pas aussi simple. Voici ce qu’un représentant de l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA) en pense :
« Comme ne cesse de le répéter Moisson Montréal, il faut que les organismes aient les capacités logistiques de venir chercher ces denrées en magasin et les trier. Avoir les infrastructures, le personnel nécessaire et d’être présent régulièrement au bon moment en magasin est bien plus complexe que d’entériner une loi. Malgré le caractère volontaire, une majorité de nos membres de partout au Québec donnent des denrées à différents organismes souvent à une échelle locale. Il y a certes quelques denrées plus sensibles, mais certaines solutions intéressantes sont à l’étude. » (Source : échange sur la page Facebook de Sauve ta bouffe, 18 décembre 2014)
Ledit représentant de l’ADA a un point : il ne suffit pas d’obliger de donner, il faut s’assurer que les organismes puissent recevoir convenablement. La Belgique semble respecter cette condition.
« Jusqu’ici, l’organisation du don de ces invendus reposait uniquement sur une démarche volontaire de la part des grandes surfaces de distribution, alors que de très nombreuses associations caritatives sont parfaitement organisées pour recevoir et redistribuer rapidement ces invendus consommables auprès des plus démunis. » (Source : LaLibre.be)
Voilà donc un détail qui fait toute la différence : en Belgique, les organismes ont la capacité de gérer les tonnes d’invendus que les supermarchés jettent. Est-ce que ce serait le cas au Québec? Non malheureusement. Les organismes d’aide alimentaire, dont les organismes Moisson présents dans toutes les régions, font un travail remarquable pour récupérer des denrées et les redistribuer du mieux qu’ils peuvent, mais ils sont bien loin de pouvoir gérer tous les invendus de tous les supermarchés, les ressources manquent cruellement trop pour leur permettre de faire plus.
Parce que récolter et redistribuer les invendus des supermarchés, ça veut dire avoir un camion réfrigéré (qui coûte une fortune), ou du moins des grosses glacières pour transporter les aliments périssables au frais. Ça veut dire avoir des frigos, des congélateurs, et du stockage suffisant pour accueillir les denrées. Ça veut dire avoir du personnel pour conduire un camion qui peut facilement être sur la route à temps plein, et du personnel pour gérer ces denrées à l’organisme et les redistribuer convenablement. Ce beau monde-là doit être adéquatement formé pour s’assurer de faire le tout dans la conformité des normes d’hygiène et de salubrité. Etc., etc., etc. À ma connaissance, aucun organisme au Québec n’a la capacité de récolter tous les invendus de son territoire, et je ne crois pas me tromper.
C’est quoi alors le truc de la Belgique pour y arriver? D’une part, peut-être que le gouvernement wallon est plus généreux que le nôtre en matière de subventions aux organismes d’aide alimentaire. D’autre part, ne négligeons pas un des gros « détails » de l’histoire (les plus réveillés d’entre vous l’ont sûrement noté dès le départ) : les supermarchés wallons ne sont pas obligés de donner mais bien de proposer (offrir) les produits aux organismes. Nous aussi on pourrait très bien faire ça en fait, ça ressemblerait sûrement à quelque chose comme ceci :
Les supermarchés : OYÉ OYÉ! Invendus à donner à un organisme convenablement équipé et structuré pour venir chercher et gérer des centaines de kilos de nourriture invendue toutes les semaines.
Organismes : Ouf, on est déjà à bout, on n’y arrivera jamais avec les ressources actuelles… Gouvernement, peux-tu nous donner plus d’argent s.t.p. pour qu’on puisse s’équiper et engager quelqu’un? On pourrait vraiment aider plus de gens dans le besoin!
Gouvernement : Désolé, pas d’argent pour ça, austérité rigueur budgétaire! (sic)
Les invendus : Bon ben tant pis pour vous autres, on va aller pourrir misérablement dans un dépotoir à la place de vous nourrir, pauvres humains!
(Je me suis senti inspiré par le style du Pharmachien pour ce bout-là, merci à lui!)
Bref, on est bien contents pour les Belges et on leur souhaite beaucoup de succès avec cette nouvelle loi, mais, fort malheureusement, il faudra surtout beaucoup plus de ressources et de structure pour nos organismes avant qu’une telle mesure soit réellement pertinente au Québec…
Intéressés par une conférence sur le gaspillage alimentaire en général ou sur un volet précis? N’hésitez pas à me contacter : eric.lenverdeur@gmail.com
Bonjour. Je suis responsable des dons alimentaires chez Moisson Montreal. Je viens de l’industrie agroalimentaire. J’aimerais pouvoir discuter avec vous car mon rôle est de sensibiliser l’industrie au gaspillage alimentaire. Voici mon cell: 514-884-5253
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Bonjour. Je suis journaliste (et blogueur) en Belgique. Je me permets de vous fournir quelques éléments en plus. Les mesures décidées par le Parlement wallon s’inspirent d’une expérience menée dans la commune de Herstal (région de Liège) dès 2012. Il s’agissait de conditionner au don des invendus l’octroi (ou le renouvellement) d’un permis environnemental à la grande distribution. Vous pouvez, si vous le voulez, trouver des reportages que nous avons réalisés avec mes collègues de la télévision régionale liégeoise sur le site http://www.rtc.be en écrivant « invendus » dans l’onglet recherche. Voici déjà deux liens : le premier porte sur la décision de la commune de Herstal de mettre la condition anti-gaspillage dans ses permis ( bit.ly/1vGTiRL ), le second est un reportage que j’ai réalisé lorsque le bourgmestre de Herstal a été invité en 2015 à Paris pour venir partager sa pratique avec les élus de la République ( bit.ly/1FPWK0d ). Alain Wagener
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